Blogéma... Blogémaaaaa ! Les films historiques
Ce que l'on attend des films historiques (et pourquoi Alexandre est puant).
Le principe d'un film, du scénario au moins, c'est plus que de raconter une histoire. Faut que ça raconte bien une histoire : faut une intrigue. Une intrigue c'est ce machin qui, caricaturalement, dit : situation de départ (exposition, avec de la musique), description de l'obstacle/difficulté (le méchant), situation de crise (le méchant semble gagner), résolution de la crise (faits héroïques des héros), situation de fin (coda, avec des trémolos). Bien sûr, c'est souvent plus compliqué, en général y'a un premier obstacle avec une première coda où le gentil souffle un peu, et une deuxième résolution de la crise où il fait face au chef des méchants, qui doit constituer l'apex du film. Mais bon donc ça c'est l'intrigue. C'est un peu bidon mais pour l'instant, la plupart des films (et des livres) sont faits comme ça, avec des expositions et des résolutions de durées et d'intensités variables.
On en attend pas moins des films historiques. En fait, un film historique n'est pas très différent des autres films, mais il a un principal avantage et un principal écueil. Le principal avantage, c'est qu'il a une atmosphère et un décor très très fourni avec peu d'effort : les scènes d'exposition au début peuvent résumer une situation historique qu'on connaît déjà vaguement, ou au moins se rapportent à une vision de l'esprit qu'on a déjà. Exemple, la bataille du début dans Gladiator. Des Romains, des Germains, la guerre c'est moche, un général, l'empereur et son fils. Pas besoin de dire qui c'étaient les Romains ou qu'est-ce que c'est qu'un empereur. Le principal écueil, c'est que du coup on attend un impact maximum du film, puisqu'il s'appuie sur une base prémâchée, et qu'il fricote avec queutchose à grande dimension : l'Histoiiiire. (qui, quoi qu'on en dise, passionne les foules) La plupart des films historiques, à succès j'entends, qu'ils aient ou non un gros budget, sont des films à grand spectacle, qui s'occupent de grandes gens, ou de grandes choses chez des petites gens. Du coup, un film historique modeste qui s'occupe des petites gens dans leur petit coin, ça déçoit, on se dit « on en a rien à foutre ». Alors que le même film fin XXème siècle, on aurait dit « c'est une bonne étude de mœurs des petites gens, et l'histoire des gens ordinaires, tout le monde s'en fout, c'est pas les grosses productions américaines qui vont s'y intéresser, hein, ça non, bande de mondialisateurs pas beaux ! ». Exemple, le Frère du Guerrier, avec Vincent Lindon : just'un petit film tranquille, sans héros héroïques, qui s'occupe de petites choses : déchiré par les critiques (moi j'aime bien). Mais même lui avait une intrigue, avec un problème, une résolution du problème, un méchant et tout.
Si je peux d'ailleurs appliquer le principe d'intrigue au Gladiator, ça donnerait ça :
- exposition : la bataille, l'empire, le légitime c'est le général
- Description de l'obstacle : le général se fait renvoyer au panier par le fiston de l'empereur, le fiston devient empereur et en plus c'est un gros salaud
- Situation de crise et première résolution de crise : l'arène, c'est chaud du bouillon, et le général morfle assez avant de devenir un dieu du stade (sans le ballon de rugby)
- Deuxième obstacle : le méchant emprisogne le gentil, ah ben on est pas rendus
- Deuxième résolution : le gentil, malgré un canif planté dans la couenne, fait manger la poussière au méchant
- Coda : il meurt. RIP. Mais c'est cool c'est un héros et maintenant il peut devenir Casper le fantôme heureux avec sa femme et son fils
Avec Il faut Sauver le Soldat Ryan, ça donne à peu près ça :
- exposition : le débarquement. Piouf !
- description de l'obstacle : y'a le fils de Madame Padchance qui est coincé avec la 101ème aéroportée derrière les lignes
- situation de crise & première résolution : c'est loin, ça, derrière les lignes… m'enfinbon, on y arrive enfin
- deuxième obstacle : aouémais le gamin il veut pas décoller son cul de son pont. Et y'a la Wehrmacht qui rapplique
- résolution finale : ben tant pis, on va les claquer comme si on était quarante-douze, pasqu'on est des Ricains, merde. Coda : RIP. Mais c'est pas grave.
Voilà.
Les autres considérations (les considérations historiques, justement), sont très loin derrière. En effet, ce qu'on attend d'un film historique, c'est pas qu'il soit très historique. Qu'il le soit ou pas, en fait, c'est l'affaire des historiens. Bien sûr, pour un historien, c'est très grave si un film n'est pas historique (ou principalement historique) : c'est un mensonge que tous vont gober par manque d'intérêt pour le sujet. Tout le monde s'en fout, de Commode, c'est à peine si on le voit au programme d'histoire du secondaire. Alors si dans un film qu'on va voir au ciné, on parle de l'empereur Commode, et ben c'est la seule chose qu'on va retenir de lui, et pire, on soutiendra à fond que c'est la vraie vérité, pasque le film est historique. Et dans une conversation, on va même aller jusqu'à dire qu'on a lu plein de bouquins et de choses qui disaient ce que dit le film, sans citer le film (pasque ça fait pas sérieux dans la conversation de citer un film). Y'a d'ailleurs des sujets plus graves que Commode. La vision des Barbares qu'on a au début du film, par exemple. Non, les Germains n'étaient pas des grosses brutasses mal repassées qu'avaient envie de saloper de la Gauloise. Oui c'est important : en Anglais par exemple (la langue originale du film), « Allemand » et « Germain » se dit « German ». C'est juste l'adjectif qui change (« German » et « Germanic »). Donc ça pousse à faire la liaison mentale : les Allemands sont des grosses brutasses mal repassées. Et nous qui savons qu'ils ne le sont pas, alors on se souvient que la bataille du début se déroule en Bohème (bon, faut aller chercher un peu pour le savoir), alors on dit que c'était pas des Allemands mais des Tchèques (des Slaves, quoi), et zop ! Un groooooos raccourci plus tard, on se dit que finalement, les Roumains et les Bulgares, ils auraient pas dû rejoindre l'Union Européenne. Bon mais bon, ça ça fait discussion sur le côté obscur des médias.
En fait, pour cette question de la réalité historique, ce qui intéresse c'est de savoir si ce qui est décrit dans le film *aurait pu* se passer. Si ça fait historique. Par exemple, on ne fait plus de films historiques où tout le monde est propre. Aujourd'hui, il y a des salisseurs professionnels, des accessoiristes qui s'ingénient à donner un look « crade et usé » aux fringues des figurants et des personnages. Pareil chez les maquilleurs. Et ça c'est intéressant. Un exemple en est la dernière moûture de la légende du Roi Arthur, un film du même titre (ingénieux !) qui a déjà profité d'une bonne couche de pommade dans ces colonnes. Pasqu'on a essayé de rendre historique le Roi Arthur, on l'appelle Artorius, on explique d'où il vient, d'où viennent les chevaliers de la Table Ronde, on l'ancre dans l'histoire religieuse en le faisant pélagien, on le met face à des vrais méchants… Bon, bien entendu, c'est loin d'être historique : on y mélange deux Artorius, on oublie que les mercenaires sarmates auraient disparu entre leur apparition en Bretagne et le Vème siècle, on sait pas pourquoi un pauvre Romanisé se serait paumé au Nord du Mur (alors que c'est le territoire des Pictes, hein), on confond alègrement les Pictes et les Celtes (les Pictes n'étaient pas des Celtes, hein), et donc Arthur n'est pas « celui qui tue sa propre race », on sait pas ce que les Saxons viendraient foutre si au Nord alors qu'ils ont pas débarqué plus au Nord que le Kent (et encore, ils y ont été invités par les Romano-Bretons contre les Pictes, dit la Wikipédia), etsétéra, etsétéra, etsétéra.
Mais ce qui importe dans ce film, ce qui retient l'attention, ce qui est sexy (comme on dit de nos jours), c'est que c'est crédible. Même auprès d'un historien qui sait que ça s'est pas passé comme ça. Ca se tient. L'armement des chevaliers est super ridicule, et celui des Saxons approximatif (pas d'arbalètes, il faudrait beaucoup plus de lances), mais ça sent son Histoire. Bien sûr y'a mieux. Mais y'a eu pire, c'est ça le truc, y'a eu bien pire (je me souviens du Roi Arthur de Lancelot avec Connery & Gere, les soldats du Roi me prenaient entre rire et larmes).
En gros, un film historique, c'est pas un film d'histoire. C'est un film normal, avec une intrigue qui s'applique sur une ambiance, un background historique. L'intrigue et les descriptions peuvent être loin de l'Histoire, ou y coller de très près : ce qui importe c'est que ça ne jure pas avec l'Histoire selon la sensibilité des historiens.
Pour dessiner un parallèle, je vais me servir de Star Trek (le sage disait : dans le doute, fie-toi à ton instinct… si ça marche pas, demande à Captain Kirk). C'est bien une série où les références pseudo-scientifiques étaient légions, et du meilleur ridicule. L'équipage de l'Entreprise réalisaient plein de miracles, qu'on expliquait avec du vocabulaire alambiqué digne du Malade Imaginaire. Ca puait. Ca faisait rire. D'ailleurs ça participe au kitsch de la série. Aujourd'hui, dans un film de science-fiction, on va souvent chercher une demi-caution scientifique, à atteindre un demi-niveau scientifique ; ou au moins à faire attention à ne pas utiliser les sciences comme un décor exotique et délirant.
Et bien c'est pareil pour les films (ou les séries) historiques. C'est tellement pareil d'ailleurs qu'on se souvient que l'histoire est une science. Avant, on faisait souvent des films historiques avec un parfum d'histoire, une espèce de fascination pour la dimension historique d'un personnage ou d'un fait. Maintenant, on essaye –souvent- d'accéder à une certaine crédibilité historique, avec un consultant, des recherches ethnohistoriques sur les costumes et les armes, etc etc etc. Bien sûr, c'est pas encore bien rodé (cf. par exemple la levée de bouclier contre le cachet « film historique » de l'Apocalypto de Gibson : il y mélange deux époques Maya distantes de plusieurs siècles et y dessine la civilisation Maya comme on dessinait les petites principautés indiennes dans Indiana Jones et le Temple Maudit).
Voilà, mais y'a un trop.
Par exemple, Alexandre. Aaaaah…. Alexandre…
Passe ton bac d'abord !! (désolé, désolé)
Alexandre (d'Oliver Stone) a fait bien attention à dessiner un personnage crédible auquel on s'intéresserait, un personnage qui aurait pas juré dans un film pas historique, avec ses combats intérieurs, tout ça ; MAIS en essayant de pousser très loin l'historicité. Du coup, le film est vraiment bon dans ce département : on y note seulement une description plus que bizarre des Perses en ordre de bataille (tensions avec l'Iran oblige, on allait pas laisser voir qu'ils étaient aussi disciplinés et courageux que les Grecs), et des Indiens (on voit dans le film l'image typique des Indiens, qui, manque de bol, date de la fin du Moyen-Âge). Le reste est bien décrit, bien documenté, bien tenu.
Mais par contre putain, l'intrigue… C'est looong, Alexandre, c'est long. Bien sûr, on peut refuser le plan typique de l'intrigue, refuser d'avoir un ordre traditionnel exposition/obstacle/résolution, mais dans ce cas il faut quand même intéresser. Il faut appâter le spectateur avec des montées et des chutes de tension, un maniement des événements qui lui donne la sensation de progresser dans le film, de voir une histoire se dérouler devant lui, bouger par l'esprit en même temps que la caméra ; il faut avoir le don du conteur qui dévoile une histoire à une assemblée pantelante d'impatience.
Là, non.
Là, non, vraiment pas. Il s'y passe des choses, dans ce film, il y a beaucoup d'événements. Mais ils ne sont pas préparés. Ils tombent et on dit « ah ouais tiens ». Normal : l'histoire est racontée par une voix off, qui est soutenue ou interrompue par l'image. C'est-à-dire que la chute de ce qu'on va voir vient de nous être racontée par la voix off. Même si ça se passe pas comme ça pour la plupart des scènes, en fait on a compris la chute de la scène avant la scène. Dans ce cas, ce qui sauverait le film serait l'ingéniosité de la réalisation, ou les dialogues. Manque de bol, c'est soit plat (avec des grands travellings et des plans larges), soit confus (les batailles on y comprend rien, et pourtant je connaissais Gaugamela pour l'avoir étudiée avant). Du coup les scènes qu'on retient le mieux, ce sont les scènes d'atermoiement d'Alexandre au sujet de son destin ou ses conflits avec sa daronne (qui fait pas ses cinquante ans, ma ptite dame). En costume. Ca ressemble à une pièce de théâtre sur les relations fils/mère : beaucoup de dialogues, un jeu au niveau de l'émotion, des scènes qui se succèdent. C'est bien le théâtre. Mais là non. Vraiment, non.
Bref le film est chiant. Historique, et chiant. Y'a un nom pour ça : un documentaire. Ce film est un documentaire historique. Pas un film de cinéma bien.
Voilà, stait ma chiure.
0 Comments:
Skicka en kommentar
<< Home