onsdag, april 04, 2007

Miyazablog - Nausicaä de la Vallée du Vent

Viens de voir Nausicaä de la Vallée du Vent, le premier écrit/réalisé de Miyazaki, en 1984 (d'après son manga commencé en 1982), et le film qui a donné naissance au Studio Ghibli. Un film... bah... un film très bien, en fait. Peut-être pas le "meilleuuuuûr Miyazakyiyiyii" pasque je pense pas vraiment que ce soit celui que je préfèrerais regarder en boucle sur une île déserte. Totoro ou Chihiro ont plus de puissance visuelle et de sucreries émotionnelles. Mais c'est le plus... profond des Miyazaki que j'aie vus jusque-là (c'est-à-dire Porco Rosso, Totoro, Chihiro et Nausicaä, dans l'ordre).

Nausicaä est une bonne leçon. Une leçon comme je les aime : une leçon où on se dit "mais puritain le caon de bordeaux de canard !" pour très vite réaliser qu'on est comme le puritain de caon de bordeaux de canard et qu'on aurait réagi pareil à sa place. Nausicaä parle de l'étroitesse de l'esprit des hommes, de leurs priorités toutes spéciales et de leurs mensonges à eux-mêmes, du fait que la violence les rassure quand ils sont incertains. C'est un film à la fois écolo et pacifiste, deux traits communs dans les films ces temps-ci et qui ont à eux deux la force de rendre niais la plus intelligente des histoires. Oui mais voilà : Nausicaä est encore plus intelligente que la plus intelligente des histoires. C'est là le coup de génie : c'est intelligent.

*half-spoilers (qui donnent envie de voir la fin du film)*

Entre autres, il n'y a pas de méchant. Aaaah. C'est bon, ça. Il n'y a pas de méchants, il y a juste des humains emprisonnés dans la petitesse de leur perception.
Et puis l'histoire se tient, foutrement bien : en prenant appui sur la thèse de l'auto-équilibrage de la Terre, théorie Gaïa, Miyazaki tresse un passé incontestablement malin : l'industrialisation a eu deux conséquences : la pollution totale de la surface terrestre, et la guerre à outrance (deux discours qui se rassemblent aujourd'hui dans la bouche de ... Besancenot... bah putain). La seconde conséquence entraîne un cataclysme. La première, la formation d'une étendue de végétation filtrant le sol pour en extirper la pollution. Les deux conséquences ont pour conséquence la disparition de la civilisation humaine, d'une part par la destruction de l'homme par l'homme, d'autre part pasque l'usine de recyclage qu'est devenue la forêt-filtre rend le terrain inhabitable et s'étend continuellement. Et pour protéger la forêt-filtre, la nature/la Terre/Gaïa l'a armée d'une invincible armée d'insectes dotés d'un esprit commun, un esprit de ruche.

Là-dedans, l'un des Etats moribonds postapoc se souvient qu'il a une arme de l'ancienne guerre sous sa ville. Un autre Etat l'apprend et l'assiège. *A la fois* pour que l'arme ne soit pas en possession de ses ennemis, *mais aussi* pour combattre la forêt et ses insectes qui ne représentent, pour les humains, qu'une menace. Avec l'idée d'unifier tous les Etats moribonds pour combattre la menace forêt/insectes. Le deuxième Etat, ayant récupéré l'arme (qu'il faut ranimer), la perd en l'égarant dans un troisième Etat. Du coup, il attaque le troisième Etat. Le premier Etat, lui, s'est défait du siège en attirant les insectes sur sa ville et en réduisant donc tout en poussière. Son but : attirer les insectes sur le troisième Etat pour détruire l'armée du deuxième Etat, atteindre le troisième Etat, récupérer l'arme, la ranimer et l'utiliser pour combattre la forêt. Ce n'est qu'un cercle vicieux.

Avec ça, la forme de l'histoire, elle, est plus familière des lecteurs de science-fiction bateau et lourdingue façon années 60 : la nature est gargantuesque, les humains sont à la fois avancés en technologie, à la fois retardés au Moyen-âge, il y a des machins qui volent on se demande pourquoi, les héros sont des enfants (innocence, innocence) et la petite Nausicaä a plein de pouvoirs inexpliqués.

La morale principale, la clef de voûte du scénar, c'est que quand les humains se sentent menacés, quand ils ont peur, ils n'ont qu'une idée : mordre, vite et fort. Comme le dit la petite Nausicaä : c'est comme un renard-écureuil (non ça n'existe pas, mais c'est mignon tout plein). Le renard-écureuil a peur, il mord Nausicaä. Les humains ont peur de la forêt, ils n'ont qu'une idée en tête, la brûler. La princesse Machin (non, pas Nausicaä, l'autre) a peur pour sa vie, elle sort son flingue. D'ailleurs, les insectes n'ont pas peur, mais ils se mettent en colère : et quand ils sont en colère, ils foncent et ils rasent (pareil pour Nausicaä à un moment : sous l'effet de la colère, elle tue). C'est une réaction primaire qui est dessinée dans toute son horreur. Sous l'effet de la peur, l'animal frappe.
Et c'est Nausicaä qui montre la solution façon "tend l'autre joue" dès le début du film : elle se laisse mordre, pour convaincre, par la voie ultime, de l'absence de danger, de la vanité de la violence. Elle se laisse mordre, et la fin ... euh... la fin ? Allez voir la fin.

D'ailleurs en petite parenthèse, ce réflexe d'hostilité de base me fait penser aux clefs de voûte des scénar du Cycle des Portes de la Mort de Weis & Hickman. Notamment la partie sur Pryan où les Tytans rasent toute civilisation sur leur passage en martelant la question envoûtante ("Où est la citadelle ?" un peu comme "E.T. téléphone maison") et où les Elfes, les Humains et les Nains ne pensent qu'à essayer de leur cogner dessus, et l'autre passage où l'on comprend que les Sartans ont eu peur tour à tour des Patryns, des mensch, des Tytans, des faux dragons, et de la 'présence supérieure', et ont réagi à chaque fois de la manière la plus stupide et la plus directe --souvent la plus violente.

*spoilers end here*

Enfin, ce film a encore une corde à son arc. Pour montrer la stupidité de l'homme, l'étroitesse de son esprit. Mais pas *dans* le film.
Nausicaä a été lancé en 1984 au Japon. Pour la version anglaise à la téloche, c'est HBO qui s'y colle, et les cassettes sont de New World Pictures et Orion Pictures. Et ces boîtes-là n'ont rien trouvé de mieux que d' "adapter" le film à leur audience. En gros, maintenir les "petits" (vu qu'en esprit de gros magnats des années 80s, un dessin animé c'est forcément pour les petits) dans l'état supposé de stupidité où le maintiennent les productions occidentales. Du coup, le film s'appelle "Les Guerriers du Vent", la jaquette montre trois mecs armés sur l'arme ancienne (un géant biomécanique tout rouge), et la princesse Nausicaä est montrée en petit ; d'ailleurs, on largue la référence à la Nausicaä copine/amoureuse éperdue/figure maternelle d'Odysseus d'Homère, et on l'appelle "princesse Zandra", ce qui fait bien "j'essaye d'avoir l'air exotique" en Occidental crétin. Le film est coupé (plus de 30 minutes), parce que certaines parties "n'allaient pas assez vite", notamment toute la réflexion écologique, et les insectes ne sont montrés que comme des brutes aggressives qu'il faut abattre. Abattre. Frapper, frapper, frapper, frapper, point. Et la catch-phrase c'est "a band of young warriors on the wings of their greatest challenge". Abbbbbbrutissement maximal.
C'est pour ça que le film a été relancé en 2005, et que certains péquenauds pouvaient baver "ah mais ouais mais c'est un ancien Miyazaki, ça, c'est pas un nouveau" quand c'est sorti. Effectivement, c'est le premier 100 % Miyazaki/Ghibli. D'ailleurs, il a été tellement dégoûté de ce sauvageage, Miyazaki, que quand Miramax a parlé d'éditer Mononoke avant sa sortie en Occident, il a envoyé aux bureaux Miramax un katana avec un mot où y'avait écrit "No cuts" (ça doit être une légende mais je l'aime bien alors je la relaie).
Voilà, même quand c'est à son désavantage, Miyazaki nous fait ressortir le crétinisme ambiant sur un plateau.

Coup de coeur : le traitement du Seigneur Yupa, mentor expert en combat mais très sobrement présenté, pas de longues séquences de bullet-time, pas de bataille de cinq minutes, juste quelques fines touches d'action qui servent bien au scénar. Rappelle, et d'ailleurs certains parallélismes sont de rigueur avec Nausicaä, un certain personnage de Dune (un bonbon à celui qui trouve lequel). Coup de coeur aussi pour l'imagerie viking. C'est pas souvent et ça va bien.

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