måndag, maj 29, 2006

Blog in Translation

Je viens de voir Lost in Translation, de la fille Coppola.

Film-culte encore, et j’explique ça : film qui représente un pèlerinage de la mémoire, comme un objet de culte, comme j’ai d’autres objets de culte, des photos, des textes, des petites bricoles. C’est un focus.

J’ai le bonheur et la blessure d’avoir été exactement là, d’avoir vécu exactement ça, d’avoir vécu ces matins & ces soirs. Apprécier l’amour à l’intérieur d’un film d’une manière beaucoup plus... vécue, plus... douce, d’un certain côté.

Il y a quelque chose que j’aimerais décrire et c’est dur c’est ce... cette fatigue amoureuse, cette tendresse que l’on ressent tout à la fin d’une nuit blanche, cette... tristesse familière avec un goût de bonbon, un peu écoeurant, vraiment confortable, ce... pincement long, long et lent d’être dans une aventure que l’on contemple du haut de l’après-aventure, quand on rentre chez soit et que la fenêtre ouverte sur... sur... sur le serrement des premiers moments d’un couple, se referme. C’est une sensation qui se rapproche de la nostalgie ; c’est pas de la mélancolie parce que ce n’est pas vraiment stable et installé... C’est comme... comme ces quelques secondes où le train arrête sa course folle, un peu en équilibre, au bord du précipice, just’avant que le film ne reprenne et que la défaite, douce chute longue et dodelinant de la tête, ne le rattrape.
C’est un film qui regorge de ces instants comme la scène d’amour de Rencontre Avec Joe Black, les silences d’Elisabethtown, les sourires de Love Actually, l’outre-frontières de l’Auberge Espagnole, ces instants où on voit avec surprise, et un peu avec plaisir pasqu’on retrouve ses sensations d’alors, sa propre vie qui flashe de temps en temps, en vrai, en faux, en film. C’est... je cherche à chaque fois à le raconter, cet instant-là, où on se dit « merde, enfin, je trouve quelqu’un qui sait », ou plutôt non, parce que je suis persuadé qu’il y a beaucoup de gens qui ont vécu chaque instant que j’ai vécu, mais cet instant-là où on se dit... « oh ! c’est nous deux ». « Oh ! c’est nous deux ». Ce n’est pas une victoire, c’est pas un trophée du genre « j’ai vécu ça, moi ! », c’est pas de la défaite du genre « meeeeerde pourquoi ils me rappellent ces moments-là, j’aurais préféré oublier », non, c’est...

La difficulté que j’ai à exprimer ce que sont ces instants-là du film n’est rien en comparaison de la difficulté que j’ai à raconter les instants que j’ai vécus dans ma vie et que le film raconte à merveille. C’est-à-dire qu’il exprime assez parfaitement (oh ! pas parfaitement, jamais parfaitement, c’est impossible) des choses inexprimables. Et c’est pas que c’est inexprimable pasque je croyais que y’avait que moi qui avais vécu ça, non, non. C’est inexprimable pour tout le monde.

Cette... tension qu’ils ont à ne jamais se lâcher. Ce choix qu’ils ont de se laisser aller ou pas à la présence de l’autre, à sa peau, à sa force, à sa douceur, n’importe quoi, n’importe quoi plutôt que le vide ; et puis, le soir, avec de l’alcool, des yeux qui brillent, c’est si... si... si bon, qu’on a envie d’en avoir plus. C’est comme si on se sentait au bord de la vie, la vraie vie colorée et bruyante, pleine & remplie de rugissements de paix et de rivières d’excitation, et de savoir qu’on peut faire un pas en avant, puis deux, puis trois, et qu’on peut faire un pas en arrière pour refuser ça. Et le choix qu’ils prennent de ne jamais se laisser aller, de ne jamais tromper leur conjoint et toute la vie qui va avec, de ne jamais faire de pas en avant, tout en sachant qu’ils devraient. Cette tension qu’il faut pour pas se toucher, il ne faut pas, c’est trop terrible après de résister si on se touche ; et la douleur de savoir qu’il ne faut pas ; écoutez : la douleur de savoir qu’il ne faut pas. Et finalement, quand tout est trop tard, enfin, se permettre la seule seconde de béatitude, un apex de sentiment, pas un orgasme, mais l’équivalent en émotion, pendant une seconde ou deux, s’embrasser, enfin, se nourrir ; s’embrasser, et pour la dernière fois ; pasque c’était une fenêtre, juste, un courant d’air dans le quotidien, et qu’une fois que le quotidien aura repris le dessus, il se laissera pas avoir une autre fois.
Ces deux-là ne se reverront jamais, ou alors ils se diront bonjour du bout des lèvres et ils se barricaderont contre tout écart de sentiment. C’est comme ça. C’était une échappée, et tout ce qu’ils ont gagné dans l’échappée, et c’est pratiquement rien, c’était tout ce qu’ils étaient autorisés, autorisés par queutchose de beaucoup plus profond et puissant que la morale, ou le mariage, ou l’honneur, ou la raison ; c’était tout ce qu’ils étaient autorisés, tout ce qu’ils s’autorisaient à prendre.

Et ils l’ont pris.

Il n’y a pas de bonheur dans ce film. Juste le soulagement intense et plein de tiraillement, la joie lente, lente, lente et fatigante, d’avoir enfin trouver quelqu’un dans le noir et de l’avoir suivi du soir jusqu’au matin.
Et au matin, c’est le ciel gris, c’est un quai de gare, c’est la fatigue qui remplit tous les pores de la peau du visage, c’est la fatigue immense, c’est le retour au calme, c’est le retour à la mort.
Ce n’est pas une happy end.

Ca me correspond ; de toute manière je n’ai jamais eu de happy end. Et j’en attends plus. Je me contente pleinement de mes souvenirs. Et une autre échappée ? L’idée même est encore plus fatigante qu’attirante.
Je ne me suis pas échappé souvent. Mais c’est déjà trop tard, parce que je peux plus me dire que je suis libre. Si je me suis échappé quelques fois, ça veut bien dire que je suis prisonnier le reste du temps.

Et ça me met dans une humeur... terrible. Où je sens que chaque seconde est passée sans être finie, où je ne complète pas chaque seconde, où il faudrait que je sois plus rempli juste pour la fin de la seconde. Et chaque seconde passe avec cette frustration mêlée de vide de voir ces morceaux de seconde perdus à jamais.

Je suis creux ; mais je me sens bizarrement en paix à cet instant pasque ce film me remplit de vide. Et ça me remplit.


De vide.

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söndag, maj 21, 2006

Toujours et tounuits

Les sentiments que j'éprouve le plus souvent sont la douleur (et c'est bien un sentiment), la honte & la colère.

Il est démangeant de penser que ce sont trois sentiments des plus physiques, avec le désir et le désespoir.

J'ai toujours aimé me considérer comme bestial, animal. J'aime considérer mes sentiments comme une preuve.


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J'ai souvent les mains chaudes. Humides ; électriques ; bouillantes. Des mains de masseur, en fait. Et quand je les mets sur le visage, comme ça là, ça me fait souvent un bien fou de massage. Parce que j'ai les muscles du visage si crispés, toujours, et la peau imbibée de fatigue.


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Arc-en-ciel magnifique ce soir. Bien vif.




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lördag, maj 13, 2006

The King Blogthur

Je viens de voir Le Roi Arthur, avec Clive Owen, Keira Knightley, Mr Fantastic (Ioan Gruffud) et le héros de Ella Enchanted (Hugh Dancy ; j'ai des références de merde parfois... mais Ricou avait adoré la reprise de Queen).

Et bien c'est un très bon film. Bien écrit, avec un but intelligent (dépoussiérer la légende du Roi Arthur, et la visser à l'Histoire), avec de nombreux personnages marquants (mentions spéciales au roi des Saxons, en vieux pillard malin et silencieux, à Guenièvre qui fait une merveilleuse Picte enragée, super-Keira, au garçon romain qui pour une fois a oublié d'être con, à Merlin qui remplit toutes ses apparitions de mystère et d'ambiance, au couple Dagonet/Bohors, etc. & etc. & etc.) ; bien réalisé, des idées de scènes bien chiadées (les combats, pour une fois, sont intelligents et pas trop longs... mention spéciale pour le combat sur un lac glacé, où les guerriers ne combattent pas entre eux mais contre la glace...), à des prises de vues magnifiques (quand les Pictes courent le long des chevaliers, dans la forêt). Du grand boulot de cinéma, je dois dire.
Seuls bémols à déplorer je trouve : la bande originale, efficace certes mais très oubliable, et trois effets à l'américaine, usés jusqu'à la corde : le feu dans la bataille finale, le mariage selon des coutumes modernes (mais pourquoi la mariée doit-elle être en blanc, et pourquoi les mariés doivent-ils se labourer la bouche avec un french kiss interminable une fois qu'ils sont unis, hein ? hein ?), et le recours à une image bleutée pour traduire le... la... enfin ça, quoi (tous les films historiques ont des pellicules bleutées maintenant...).

Et ça m'a fait creuser dans toute cette histoire, encore un coup (j'ai eu ma période légendes celtiques... en fait... comment vous dire... j'ai encore ma période légendes celtiques). Et bien. Je voulais vous raconter les théories historiques mais... ...et ben c'est trop long pour que je raconte. Wikipedia a encore la réponse à toutes vos folies.
Just'un mot : dans le film, qui est très sérieux je trouve, deux Arthurs ont été mélangés, l'un du IInd siècle, qui a tout pour plaire, sauf la date, et son descendant d'à peu près la fin du Vème siècle, mais qui se serait battu à Bath, au Sud du Pays de Galles, pas sur le Mur d'Hadrien (près de York, bien plus au Nord).

Mais quoi, je trouve ça vraiment... vraiment... vraiment...

Ptain ça m'emporte ! Traquer l'historique dans les légendes, c'est vraiment un job génial. Et du coup je me suis laisser découvrir un site où je pourrais passer des heures, sur les royaumes bretons d'Angleterre, de Cornwall et de Galles... J'ai des intérêts... étranges parfois.

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Ublogie III

L’uchronie tient en si peu de choses... Et j’ai un intérêt dévorant pour ces petits morceaux d’histoires qui se racontent... Ce réflexe enfantin de demander « Quesqui s’est passé ? » « Et lui, il a fait quoi ? il est devenu quoi ? » « Et après ? » pour qu’on me réponde « Après ? Après... » (cette citation d’ailleurs vient d’Il Etait une Fois l’Homme, y’a pas de secret, tout se tient).

L’uchronie n’a pas besoin de marcher avec des gros sabots. Pas besoin de dire « Et si hitler avait gagné la Deuxième Guerre Mondiale ? Oh là là, on serait bien malheureux ! » ou « Si hitler n’avait pas existé, Staline aurait envahi toute l’Europe et combattrait les Européens de l’Ouest » (héhé... petit clin d’oeil : c’est le point de départ du jeu Alerte Rouge) ; ou même de partir dans le délirant, comme « Et si l’Empire Romain d’Occident avait tenu ? les colonies américaines parleraient latin » (« et si l’Empire Romain d’Occident avait tenu ? » est le point de divergence d’un roman connu, je sais plus de qui). Non, non, l’uchronie peut être queutchose de subtil, de raffiné. Je dirais que l’uchronie que je préfère est celle qui change assez de chose pour qu’on le remarque, mais pas assez pour changer la face de la Terre. Ou au moins, pas totalement. Mes points de divergence favoris replace les minorités ethniques dans les faveurs de l’Histoire : j’ai toujours eu un faible pour les minorités.
Par exemple, les Vikings ont de longs contacts avec les Amérindiens, qui les font connaître aux puissances d’Europes, mais celles-ci ne sont pas encore prêtes, économiquement pour l’opération de masse que représente une colonisation. Cependant, les contacts sont suffisants pour instruire les Amérindiens sur les concepts européens de territoire et de pouvoir (et d’honneur), et habituer leur système immunitaire aux microbes d’Outre-Atlantique. Du coup, ils résistent un peu mieux à la colonisation européenne, et sont capables d’effectivement créer des petits Etats indépendants, qui rejoignent plus tard la fédérations des Etats-Unis et la fédération du Canada.
Mais ça c’est un long « et si », et ça peut changer la face de la Terre. Non, allons donc fouiller les Histoires de pays qui nous sont pas familières... Tenez : 1514, le navigateur laotien Fa Nosava réussit à battre la flotte des Portugais et stoppe leur implantation sur la côte de l’actuelle Thaïlande. Rien de bien excitant, en fait. Mais... mais attendez... Les Laotiens n’ont jamais eu de façade maritime. C’étaient les royaumes môn et birmans qui tenaient la côte. Ca veut dire qu’ils auraient conquis la côte ? Eh, pas si bête si on se rappelle que les Shan, peuple voisin des Laotiens, et qui se fondront pour une part dans le Laos, détruisent le royaume birman d’Ava en 1527. Ca voudrait donc dire que les Lao et les Shan se seraient alliés, et que la conquête de la côte aurait eu lieu un peu plus tôt... Assez pour qu’un navigateur soit assez fort pour tenir tête aux Portugais. Peut-être qu’ils avaient l’appui de la Chine, comme les Malais plus au Sud ? Et mais en plus, les Portugais n’ont jamais pensé à attaquer si au Nord ! Ils se sont contentés de conquérir Malacca en 1511. Alors, échec devant Malacca ? Ou alors besoin d’un autre port ?

Je crois que l’Histoire est si sacrée pour moi que j’ai un plaisir mystique à la manipuler, à la déconstruire et la reconstruire.

Santa Blog est un rouge

La publicité vous ment...

On va a dit, on vous l’a dit, ouais, que le Père Noël était vert et que c’était la pub Coca Cola qui l’avait peint en rouge ? Et vous y avez cru, et vous en êtes sûr, et d’ailleurs ça vous étonne pas de ces en**lés d’Amerloques morveux qui piétinent tout le bon goût et les bonnes vieilles traditions...

Petite recherche Answers.com, qui débouche sur des réponses de Wikipedia, de Who2 et de l’incontournable Snopes, Pages Référence des Légendes Urbaines.

Le Père Noël, qu’on appelle Santa Claus aux Amériques, provient bien de Saint Nicolas, au travers des Anglais de New York qui essayaient de prononcer le Sinterklaas des colons des Provinces-Unies de New Amsterdam. (c’est la même ville, hein, pour ceux qui se grattent la tête) En Allemagne, Belgique & Pays-Bas, on le fête le 6 decembre, ou même la nuit du 5 au 6, date présumée de la mort du saint, un évêque anatolien du IVème siècle. Aux Etats-Unis, le mythe est popularisé dès un poème de 1823.
Les explications du rouge, maintenant : dans les années 1860, le dessinateur pour enfant Thomas Nast le dessine (et plus tard en rouge en 1881)... Ce même Thomas Nast, vous l’aurez aisément reconnu, qui caricatura William ‘Boss’ Tweed si salement que ce démocrate de New York dut abandonner sa vie politique... Ca vous dit rien ? Mais si ça vous dit ! ‘Boss’ Tweed est le politicien véreux de Gangs of New York ; quant à Thomas Nast, il fait une apparition sur le ring de boxe, sur les quais, en train de... caricaturer Tweed... Allez, vous pouvez retourner à vos DVDs et mater le passage... Ce petit clin d’oeil vous a été apporté par l’IMDB.

Mais pourquoi rouge ? On peut y voir la couleur de la pourpre épiscopale, puisque Saint Thomas était un évêque. La pourpre épiscopale vient elle de la pourpre impériale, symbole romain de pouvoir, et la pourpre impériale, de la valeur du Murex, dont la pourpre était tirée.
On peut y voir d’autres symboles religieux, païens ceux-là. Parmi eux, je préfère l’origine russe avec le Grand-Père Hiver, Ded Moroz, qui était passé dans le folklore allemand sous le nom de Väterchen Frost, et de là, aux Amériques par les immigrants allemands (dont la famille de Thomas Nast).
Autre symbole allemand, Odin, l’Errant, principal dieu du panthéon germanique, qui était réputé faire le tour des popotes au jour de Yüle, c’est-à-dire le solstice d’hiver, le 21 décembre. Ce Yüle-là (bebop ce Yüle-là) a très tôt été confondu avec Noël pour les Germains christianisés, et d’ailleurs, dans plusieurs langues scandinaves Noël se dit Jul, et le Père Noël, Julemanden en Danois. Il gambadait dans la neige avec les autres dieux et les héros du Walhalla... Bien sûr, que tout ce petit monde soit habillé en rouge est une possibilité.

Et pourquoi pas vert ? La couleur verte est traditionnellement (au XIXème) celle de Father Christmas en Angleterre. C’est aussi dans cette couleur qu’il est habillé dans l’Histoire de New York (une satire de 1809) de Washington Irving (celui qui a inventé Sleepy Hollow), parce qu’il aurait une veste de mer verte de marin Hollandais (mais il est dit qu’il a presque tout inventé lui-même).
Mais le rouge le dépasse en 1885. En novembre 1927, le New York Times remarque que la version gros, grand, gras, souriant et rouge est standardisée.

Mais alors, et Coca ? Ben l’hiver dans les années 1930, c’était les mortes-eaux pour l’industrie des pshiit. Coca emploie donc le dessinateur Hadden Sundblom, qui dessine la figure que l’on connaît, grand, gros, gras, souriant et... ROUGE.

söndag, maj 07, 2006

Blogorama

La citation que vous ne trouverez pas encore sur une tombe :

[devant une photo de Clario]
- c'est mignon ça !
- moué en sépia ou n&b je passe mieux qu'en couleur

Blogomotive

le 060506

TGV duplex 6924 Grenoble-Paris

1928

Je quitte la capitale du Dauphin, le ventre embrouillé, légèrement froid. Arbres de mai d'un vert très profond dans la lumière grise d'un plafond. La faim qui commence, un peu.
Je quitte les Grenoblois, encore. Trahison répétée & régulière. Personne ou presqu'à cet étage -- les traîtres se font rares.

Typique grenoblois : gars de bonne humeur en pantacourt Quechua, larges de corps & d'esprit, amitié bûcheronne & c'est la montagne qui fait ça, charme agaçant du baroudeur ; filles déterminées comme des têtes de piolet, bruyantes, fraîcheur déroutante de la bergère. Une espèce de caractère ouvert par la rando & vicié par une défiance de ce qui ne randonne pas -- les autres ; et la sophistication empruntée de ceux qui se sont fait rattraper par la ville des autres. Les références qu'ils vous citent, c'est la Chartreuse, le Vercors, Belledonne pour les plus solides ; et leur clergé c'est le staff de Décathlon. Grenoble, capitale de Décathlon.

Et je quitte l'endroit avec la fine chemise de mon père & mon futal Quechua-grenoblois. Je l'ai traîné au-dessus de Laffrey, au dessus de Saint-Jean-de-Mercuze, au-dessus de Claix, & bas sur les lacs de Savoie. En paroles, j'ai acheté trois ou quatre châteaux. En esprit je les achète, je les habite, je les rénove, je les utilise et je les rends utiles, je les peuple ; je les conquiers, je les colonise. Si vous perdez ma trace, faites-moi l'honneur de me chercher au Levant, au château de Menthon-Saint-Bernard, ou au couchant, au château de Duingt.





2056

Sur le chemin de Paris, le soir prend des airs bilieux. Les nuages ont laissé le soleil se coucher bas sur le pays, et il a mouillé leur couche. Le rez-de-chaussée du ciel, jusqu'à l'horizon, est d'un bleu métallique sale. Plus haut, les étages sont d'un gris très pisseux & assez formidable. Il fait étonnemment, surréellement clair. On devine petit à petit un rosissement maladif.
Les pelouses à vache jaunissent, les champs de colza verdissent.
Il ne pleut même pas.





2109

Dans le TGV, on me donne de voir quatre fois le couple assis à quelques places de moi, de l'autre côté de l'allée : son reflet dans sa vitre du bout de l'oeil, le en vrai, son reflet dans ma vitre, et de l'autre bout de l'autre oeil, le reflet dans ma vitre de son reflet dans sa vitre.
Sa vie se déroule devant moi en quatre exemplaires, et pourtant, dans l'ignorance intime & ouatée d'un wagon de TGV presque vide, ce couple ne présente pas l'ombre du moindre intérêt[1].





2133

La France la nuit est orange, mais il y a encore des hameaux où il n'y a pas d'éclairage public. On a l'impression qu'ils sont perdus ; mais en fait, là-bas, la nuit est encore sacrée.






2153

Atmosphère étouffée dedans, nuit noire dehors. Avec les lampes d'ambiance plein pot, on n'est entouré que des reflets de notre propre wagon : il n'y a rien de solide, dehors, rien de crédible. Mais pour la campagne à l'extérieur, on n'est qu'un rai de lumière qui file.
A cette heure-là, qui est fantôme ?





[1] de particularité. d'intérêt dans la particularité

Formule d'anniversaire v 2.2.4

(pour le 05 mai)


Joyeux ? Ha ! n'y versèrent :

Nos voeux les plus saints serrent...






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