fredag, januari 27, 2006

blog sans blog n'est que ruine de l'âme

J'écris dans des circonstances les plus particulières et, même si ça va peut-être sonner différemment ici, je suis pas dedans - je suis encore plus gris que d'habitude.

Je suis pas passé loin de la mort. Ca fait bizarre de l'écrire, ça fait encore plus bizarre de le penser, et ça fait surtout bizarre quand on sait dans quelles circonstances.

Les circonstances sont simples : j'ai perdu ma machine. Mon ordinateur, suite à une manipulation hasardeuse, ben, je l'ai bousillé. Au début, je pensais, définitivement, et c'est pour ça que je peux dire que je suis pas passé loin.
Et en fait j'ai pu le récupérer un peu, maintenant il est à nouveau mort, mais je vais sûrement pouvoir le réssusciter, le temps de mettre en orbite ce que je voulais en sortir avant de l'enterrer définitivement.

Ne plus avoir d'ordinateur en soi est déjà quelque chose de traumatisant pour moi. Et, encore une fois, je ne fais pas de l'ironie et je vous prie de ne pas trouver la pensée ridicule. J'ai eu un ordinateur personnel vers mes dix ou onze ans, et depuis, j'ai toujours eu une machine pour moi, à portée de main. C'est... comme une chambre. Ou plutôt, comme... une seconde tête. Les seuls moments où je n'ai plus eu d'ordinateur, d'une part c'était très court, une semaine peut-être au maximum, d'autre part, j'ai toujours pu récupérer un maximum de ce qu'il y avait dessus - à part une fois, dont je me souviens particulièrement douloureusement, où j'ai perdu tout un pan de ce que j'avais fait.
Ne plus avoir d'ordinateur, d'autre part, c'est freiner d'un sacré coup de talon tout ce que je fais. Parce que je fais tout sur ordinateur. Je travaille sur ordinateur, je me divertis sur ordinateur, je fais de la cuisine grâce à mon ordinateur, je lis sur ordinateur, je fais de la musique sur ordinateur, je fais mes dessins sur ordinateur, je regarde mes films sur ordinateur, j'écoute la musique sur ordinateur, je reçois et j'écrie des mails sur ordinateur, je communique avec les potes et la famille sur ordinateur. C'est aussi sur ordinateur que je comptais faire mon mémoire de master.

Et ça déjà, dans l'état moral et mental où j'étais, où je suis, c'était assez pour me flinguer. D'ailleurs, ça m'a flingué. Imaginez qu'on brûle votre chambre. Ou plutôt, qu'on brûle votre maison. Et puis votre entreprise avec. C'est un chômage technique dans toute relation, dans le travail, dans le divertissement. Comme d'être interné dans un hôpital, sauf qu'on sait pas quand on sort.
Vous pouvez rire : nan mais arrête de faire ton geek, dans un hôpital on peut pas se balader, on peut pas aller faire les courses, on peut pas bouger ! Oui, mais on peut faire de l'ordinateur. Comprenez : ce n'est pas le même référentiel. Imaginez qu'on vous casse les jambes, qu'on vous colle une maladie et qu'on vous laisse seul dans une chambre avec un ordinateur. Vous diriez que vous ne pouvez plus rien faire. Et bien c'était presqu'exactement comme ça que je vivais, au contraire : je me baladais grâce à mon ordinateur, je bossais avec, je faisais tout avec. Non, ce n'est pas être associal. On est associal quand on ne veut pas en sortir. J'ai toujours été impatient de laisser mon ordinateur pour aller voir les gens, et d'ailleurs, l'ordinateur m'a toujours permis de rester en contact avec les gens.

D'ailleurs, pour mesurer l'impact que ça peut avoir sur mon style de vie, on n'a qu'à penser à ce qu'être privé d'internet peut avoir comme effet sur moi. Ceux qui savent savent. Je deviens assez littéralement fou. Disons que je suis déjà devenu assez dément à cause de ça, un certain mois d'avril, par le passé. Mais même quelques jours, ça me rend dingue. Imaginez maintenant que non seulement je ne puisse plus communiquer avec le monde extérieur, mais que je sois aussi incapable de communiquer avec le monde intérieur.

Parce que c'est ça l'enjeu, c'est bien plus que de ne plus pouvoir vivre : c'est d'avoir perdu tout ce que j'ai vécu auparavant. Tout ? vous riez encore. Oui, tout. Pour un exemple, une chose à laquelle a servi de vivre tout seul est la cuisine : j'ai vraiment progressé en cuisine, enfin, dans mon référentiel au moins, même si certains diraient que faire du sucré-salé ou des gâteaux au microondes c'est plutôt regressé. Mais mes recettes sont sur mon ordinateur. Je ne garde que quelques souvenirs épars. Qu'on juge donc ce que ça me fait d'avoir perdu mes recettes, mais aussi les morceaux que j'ai enregistrés sur ordinateur, le début de mon mémoire, et mon travail sur les famines, et mon travail sur la rue de la Butte aux Cailles, et mes nombreux textes passés, et les textes que j'ai commencé à écrire depuis peu, et qui me faisaient, bon an mal an, bien plaisir ; et mes dessins, que ce soit mon immense collection d'images récupérés depuis des années en surfant ou bien celles que j'ai faites moi-même, et qui n'ont souvent gagné de valeur que parce que les dessins avaient été complétés sur ordinateur ; et toute une galerie de photos persos, des bouilles de ma meute, des bouilles de souvenirs, et pas mal de mails, qui sont copiécollés en fichiers textes, et tout ce que j'ai pu écrire à droite à gauche, sans jamais m'arrêter.
Et je ne parle pas des choses récupérables ou moins importantes, mes playlists, avec un millier de pistes, mes films, et mes sauvegardes de jeu, qui ont une valeur en soit, puisque quand vous passez des journées entières à jouer, c'est peut-être minable, mais vous aimez pas les voir effacées d'un coup, et qui ont une autre valeur, puisque j'arrivais à écrire des textes et des petits morceaux de fiction à partir d'elles.

Comprenez le truc, ce sont mes enfants, et je n'utilise plus seulement ce mot, aujourd'hui, pour désigner mes poèmes, ce sont mes enfants qui sont partis, partis, partis, et que font un énorme creux dans mon bide. C'est mon passé, parce qu'il a une toute autre apparence quand je peux m'en souvenir avec des photos, des mails, des textes, des conversations msn enregistrées, c'est mon passé qui fout le camp.




Enfinbon, là, il se pourrait que je récupère l'ordinateur, que je le mette en vie artificielle assez longtemps pour pouvoir sauver le principal de la mort. Mais, quoi que j'arrive à faire, je ne pense pas pouvoir tout sauver, et surtout, je ne pense pas pouvoir sauver la machine entière. On va devoir opérer pour sauver tout ça, et je pense pas que ça fasse du bien à l'ordinateur de se faire débrailler les entrailles.
Toujours est-il que j'ai pensé, pendant un jour ou deux, ne plus pouvoir continuer - ne plus pouvoir marcher encore, ne plus pouvoir pousser mon rocher, ne plus pouvoir me lever.

Et d'ailleurs, ça n'a pas raté : les trois derniers jours, je me suis levé le plus tard possible et je n'ai fait que regarder la télé et faire à manger : seulement ces deux actions, avec des journées ridiculement courtes qui se mélangent et s'effacent dans ma mémoire - des non-jours.

Pasque je n'ai plus de machine. Juste ça. Juste ça et tout coule. Vous pouvez trouvez ça minable.
Non, on ne peut pas dire qu'un ordinateur soit toute ma vie. Je préfère dire que c'étaient l'une des seules choses qui me restaient de ma vie. Ce qui me faisait lever le matin, c'était l'ordinateur. Ce qui me fatiguait pour que j'aille me coucher le soir, c'était l'ordinateur.

Et pourquoi des mots si absolus ? Pasque j'ai perdu l'ordinateur avant même d'avoir commencé à le rembourser, et que je n'aurai sûrement pas de machine avant des mois. Et donc, que je me retrouve aussi peu équipé pour la vie qu'à mes... dix ans ?
Bien sûr, j'espère que je vais arriver à me démerder, d'une manière ou d'une autre, pour récupérer une autre machine le plus vite possible. Et... et surtout mes enfants.


C'est pour ça, à cause de l'absence d'ordinateur, que mon appart à Paris s'est vidé de tout intérêt. S'il n'y a plus d'ordinateur, ce n'est qu'une cuisine assortie d'un tombeau où j'attends que le jour se termine. L'autre intérêt d'un appart à Paris était de me rapprocher de ma meute et de vous voir plus souvent, et il n'y a que Ricou que j'aie réussi à voir plus souvent - et maintenant, il est devenu largement moins disponible.
Donc je pense très-sérieusement à stopper ici l'expérience de l'appart à Paris. C'est excellent de vivre tout seul quand on va bien, mais quand on va mal et que personne ne vient, c'est terrible. Je ne pense pas que vivre ici, chez les parents à Orsay, soit mieux en soi, mais c'est un moindre pire.
En plus, ça économisera des sous à mes pauvres parents qui dépensent sans compter ce que je gâche en comptant - et je compte minutieusement, et toute la perte, je l'ajoute à mon ardoise, et mon fardeau n'en devient que plus lourd.


Donc, retour au bercail, par petits rebonds, c'est-à-dire que je pense lâcher l'appartement définitivement quand j'aurai remis la lettre à mon proprio, ce qui me laisse au moins un mois encore.



Et là je suis à Orsay. Comme je l'ai dit, je n'ai plus rien à faire à Paris, sauf peut-être le Nouvel An Chinois, qui éclatera just'à côté de chez moi dimanche.



A nos échecs.